LES POCHES VIDES

Noe PRESZOW

Tu n’le reconnais plus
faut dire, il a changé
faut dire, il a perdu
sa crinière argentée

lui qui savait parler
ne trouve plus les mots
celui qui naviguait
ne verra plus les flots

tu n’le reconnais plus
il n’y a pas de question
tu connais la réponse
c’est écrit sur son front

une semaine ou deux :
il n’y a rien à faire
sourire comme l’on peut
face à ce grand mystère

Partager en silence
le printemps qui revient
« te souviens-tu l’enfance ? »
bien sûr qu’il s’en souvient

la course en bord de Meuse
les années aux longs cheveux
les années creuses
les jours heureux

c’était un lit pour trois
chanter au coin du feu
Lou Reed, Barbara
la fumée dans les yeux

nourrir les orphelins
croisés sur votre route
protéger les copains
coûte que coûte

La porte était ouverte
à qui s’était perdu
qui fuyait sa famille
à qui n’en avait plus

il y avait eu la guerre
et mille et une failles
les pères et les mères
un peu comme du bétail

c’était les poches vides
le monde en auto-stop
les lettres envolées
« jamais reçu l’enveloppe »

pouvoir perdre de vue
ceux qu’on ne veut plus voir
c’était la liberté
de ne plus rien savoir

A chaque jour sa lutte
à chaque nuit son sens
et le droit à la chute
qui fait que l’on avance

c’était du bruit dedans
c’était du bruit dehors
c’était les nuits sans fin
à n’pas être d’accord

c’était « j’aime quelqu’un »
et tout se raconter
et du jour au lendemain
c’était tout quitter

s’retrouver en manifs
après n’s’être plus vu
les enfants ont grandi
et vous ne fumez plus

Partager en silence
le printemps qui revient
« te souviens-tu l’enfance ? »
bien sûr qu’il s’en souvient

la course en bord de Meuse
les années aux longs cheveux
les années creuses
les jours heureux

c’était un lit pour trois
chanter au coin du feu
Fontaine et Higelin
la fumée dans les yeux

nourrir les orphelins
croisés sur votre route
protéger les copains
coûte que coûte

éviter les sanglots
éviter les soupirs
surtout taire les mots
que tu voudrais lui dire :

« allez viens on sort
viens on va prendre l’air
tu n’es pas encore mort
viens on va s’prendre une bière

allez viens on s’arrache
le lac ou la friterie
on s’en va où tu veux
on roulera dans la nuit »

mais tu ne diras rien
et vous n’irez nulle part
tu lèveras la main
pour lui dire au revoir

il lèvera le poing
en souvenir des grands soirs

Partager en silence
le printemps qui revient
« te souviens-tu l’enfance ? »
bien sûr qu’il s’en souvient

la course en bord de Meuse
les années aux longs cheveux
les années creuses
les jours heureux

c’était un lit pour trois
chanter au coin du feu
Ribeiro, Lavilliers
c’était « la maison bleue »

nourrir les orphelins
croisés sur votre route
protéger les copains
coûte que coûte

protéger les copains
coûte que coûte

protéger les copains
coûte que coûte…

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